Nouvelles et autres textes

 


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2024




Sous les latitudes lacustres

En marge des instants-pénombre et des friches forestières, elle improvise son abri saphir. Il ne s'agit plus pour elle d'être, de rechercher, de se sentir en sécurité. Entre iris et pupille du bel oiseau, elle se hamaque au creux de la cornée-jardin et cela lui suffit bien, oui cela lui suffit bien. Plus de hics ni d'attente de revoyures, elle se love en cette convection de la lumière, présente à elle-même comme à demain.



« Vie » comme « Volonté Inexpugnable d'Exister »



L'étrangère

Elle parlait sa vie comme on se met à une langue étrangère. Mais pas pour de faux, pas à distance, le cul sur un banc de fac à préparer un diplôme ou une agrégation. Non, pour de vrai, à l'eau jetée comme ça, grande bouffée de cet air chaud et humide à l'arrivée, déjà étouffant mais il va falloir sortir, après tout tu es bien là pour ça, et alors respirer comme tu parles. Même si tu ne dis rien, au pire tu écouteras et petit à petit tu feras les mots tiens. Et puis alors le quai, ce même quai mais un autre jour, toi venue accueillir les tiens avec cette fois les mots de ce pays fait tien. On t'admirera, on te jalousera, vous passerez quand même de bons moments ensemble, tu leur montreras ce que tu sais, ce que tu as appris et ils aimeront ça et toi tu resteras ici, grande grandie de tous ces nouveaux mots en toi, repensant à toi avant là-bas qui ne les imaginais même pas.


Archéologie des sources

(ou pourquoi on parle de « couille dans le potage »)

Je me suis toujours demandé -pas vous ?- d'où venait cette curieuse expression : « Y'a une couille dans le potage ». Je me souviens, ma mère l'employait assez souvent et, quand j'étais petite, devant mon bol de soupe à la courge fumant, j'essayais de comprendre en la regardant tantôt elle tantôt mon père, des fois que. Puis un jour j'ai décidé d'attraper le minotaure par les cornes et d'en finir avec ce suspense assez terrible, au moins aussi terrible que l'histoire à l'origine de l'expression. Jugez plutôt.

Alors voilà, il était une fois un bûcheron. Il était parti, ma foi, comme d'habitude pour faire du bois. Problème : il tombe sur une fille s'étant mis dans la tête de s'encabaner seule dans la forêt, là tout l'hiver, histoire de se tester et de grandir un peu. En soi, pas de problème, l'exercice est même louable. Non, le problème vient de ce que la fille, citadine de chez citadine, sort de sa cabane avec une tronçonneuse débridée au moment où le bûcheron passe et semble comme courir après l'engin qui lui même rattrape le pauvre homme. Je vous laisse deviner la suite : le bûcheron, bien involontairement émasculé, tout qui gicle partout, lui qui s'enfuit en courant tout dépenaillé et elle, la fille ravie, l'air à la fin quand même un peu surpris quand du plafond, le soir, tombe dans son assiette une bonne grosse boule bien poilue. Au début, elle fait « Beurk ! » puis goutte cette drôle de chair à la consistance tout de même prometteuse, surtout quand agrémentée d'ail des ours séché.

Comme quoi, d'une erreur certes un peu douloureuse peut naître un excellent mets... quand ce n'est pas par l'opération du Saint-Esprit un nouveau-né. Car de cette fameuse et primordiale couille dans le potage naquit on ne sait encore comment le plus doux des enfants, un jour de l'été, au beau milieu de la forêt. Et même que si vous voulez savoir, le gars il s'appelle Nathan.


Carreau cassé

(Là où je suis née)

Je suis née dans le trou, oui exactement dans le trou du carreau cassé de la salle de bain. A l'époque, nous vivions au 3ème étage mais même après le déménagement de mes deux puis sept ans, cela n'a pas changé grand chose : je n'ai jamais quitté cet entre-deux, petit souris jolie jolie qui certes atchoume au moindre courant d'air mais dispose au moins d'une certaine hauteur de vue. C'est ça de naître et grandir dans un -enfin LE, l'unique, ENORME- trou du carreau de la salle de bain. Au début, je trouvais ça pas du tout rigolo, ce truc du à califourchon entre le dehors-le dedans, ouais le truc vraiment pas marrant. Puis j'en ai pris mon parti car à force d'effluves je sentais bon et donc je n'avais pas besoin de me laver. Ça me faisait gagner un temps fou que j'ai utilisé à lorgner par-dessus rambardes et sous auvents. De mon poste, on peut dire que j'en ai vues et entendues des vertes et des pas très pures. Je n'ose ni n'ai envie de raconter, de répéter car tout ça bof, pas mal détritus. Parce que la vie au fond suit son cours, il faut oui la suivre, la laisser comme moi petit point fixe quillé sur son rocher girouette, attendant vents, soufflant marées.


La forêt d'Isidore

(Libre couleur forêt)

La forêt, c'est la vie d'Isidore. Il y est né. Il y est né et l'a quittée petit, petit mais quand même le temps de se souvenir. Ah le souvenir, se souvenir... comme ils aimeraient qu'on n'ait plus rien, jusqu'au souvenir même de la notion, le mot et l'idée de forêt. Sauf qu'Isidore non, justement, dans sa tête il fait ce qu'il peut et il cultive précieusement le souvenir de la forêt, sa forêt. Cela a pris du temps mais maintenant, même les yeux ouverts (il faut le dire, fermés, c'est encore mieux), il se retrouve sous les branchages de palmes, rien ne fait écran entre le sol, le ruisseau et ses mains caressantes. Le contact surtout, personne, surtout pas eux, non personne ne peut empêcher le contact. Qu'il décide d'arpenter sa forêt à petits pas et alors il l'arpente. Personne pour s'y opposer. Qu'il prenne au contraire la tangente direction la canopée et alors il la prend, la tangente-canopée. Personne, non personne pour l'engrillager. Isidore est libre, libre couleur forêt.


2023



Les paradis perdus

Les paradis perdus
s'atteignent
en colmatant une brèche
qui n'est pas une brèche
alors comment veux-tu ?
c'est peine perdue.

Les paradis perdus
s'atteignent
en suivant une brèche
qui, oui, est une brèche
alors suis-la
toi qui l'as reconnue.

Les paradis perdus
s'atteignent
en enjambant une brèche
qui, sans ça,
fera de toi ce qu'elle est :
une chose qui n'est plus.

Les paradis perdus
s'atteignent
en soufflant sur cette brèche
qui n'attend que ça,
compagnon de sa route,
toi à jamais disparu.

Paradis
perdus
brèche
disparu

Ce texte a été écrit « en live », comme j'aime et comme je le pratique dès que je peux, c'est-à-dire lors d'un concert du pianiste de jazz Laurent de Wilde. Il fait écho et porte le même titre que l'un des morceaux de son dernier album « Life is a movie ». Tout cela pour dire que je m'inspire d'autres arts que le mien et même « pire » : j'adore collaborer avec d'autres artistes, voire écrire d'après commande car, comme on le sait et comme ça m'énerve aussi un peu ce lieu commun : « la contrainte est créatrice ». En art peut-être mais dans la vie point trop n'en faut.


Qui je suis


Moi, qui je suis ?
Ça dépend, ça dépend comme les lundis. On me dit lunatique alors que j'ondule comme je peux sur les jours fébriles. On me dit colérique alors que c'est le silence des autres qui m'estomaque à m'en donner le trac. On me dit soupe au lait et, j'avoue, avec ou sans petits vermicelles, c'est un peu vrai. On me dit idéaliste et, c'est vrai aussi, leur renoncement me désole comme il me terrifie. On me dit ironique mais alors je me demande que dire alors du sort, de toute cette drôle d'histoire. On me dit pas mal mais alors qu'est-ce que ça serait si j'étais franchement bien ? Il me dit « c'est pas mal » et je me demande ce qu'il lui faudrait pour que ça soit bien, ça c'est une question, peut-être ma seule question. Elle me dit « je repasserai » et j'ai peur : comme les autres, mais surtout eux ces deux fous, j'ai peur de ne plus jamais les voir. On me dit nostalgique, je rectifie dans un large sourire : non non, juste mélancolique. On me dit... on me dit tellement de choses que c'est à s'y perdre. Heureusement, moi je sais et ce que je préfère ce sont mes silences.


Ritournelle (vaguement) altruiste


Les autres
c'est moi
c'est toi
tout dépend

les autres
c'est moi pour toi
c'est toi pour moi
tout dépend

les autres
c'est moi contre toi
c'est toi contre moi
tout dépend

les autres
c'est moi
c'est toi
c'est nous
c'est eux
c'est fatigant.


Recette pour naître


Durée : Longtemps
Matériel nécessaire : une mère, voire un père ou deux

Déroulement de la préparation :
Au début, se fixer, trouver une planque pour tenir bivouac pas long, 9 mois et en principe c'est bon. Ensuite, tremblement de terre, bombardements... où il est question de contractions. Autant dire la tuile, fini les étoiles sur la paroi lactée, voir des gens au bout et puis au bout du bout des pieds. Les miens, ah non pas possible, eux ils sont vers sa tête. Alors les siens, à celle du dedans bientôt de dehors, ouf pousser, ouste expulser. Et puis me voilà, nue comme crue, heureusement personne n'a encore trop les crocs dans ce coin-là. Se laisser porter, laver, embrasser et puis gagner un gros ventre avec de gros seins dessus et de gros yeux encore par-dessus. Ça pourrait faire peur mais en, vrai non : naître comme paisiblement s'endormir.


La vie-va


Vie
bien
la vie
va
vie
bien la
la vie
bien là
là où ?
là !
où là ?
ici
vie

déposée

clap
fin
eau debout
de boudin
éclat
passé
temps
éclaboussé


Drame à Noirmoutier



Une catastrophe est arrivée en la basilique de la Guérinière ce samedi. L'heure était au recueillement, la foule était immense pour les funérailles d'Adélie Dupont, notre poissonnière, tricoteuse à ses heures mais surtout fondatrice du désormais mythique GRR, le Groupement des Grands Rêveurs.

Une fois passée la messe, déjà pour tous éprouvante, toutes et tous se sont retrouvés au crématorium attenant, la défunte ayant fait vœu de ne laisser en ce bas monde que le minimum, à savoir ses cendres, certes de son parfum parfumées. Las, une fois le four refermé, une grosse explosion a eu lieu qui déclencha un énorme incendie au cours duquel toutes et tous périrent, le curé en tête avec son crucifix.

Une enquête est en cours mais il se suppute sous cape une limpide explication : c'est qu'Adélie rêvait de saut à parachute et, n'ayant pas réalisé ce rêve de son vivant, elle avait ordonné qu'on la mette dans son cercueil en combinaison pour sauter. Laquelle est, comme chacun le sait, hautement inflammable avec tous ses matériaux en synthétique. D'où la catastrophe. D'où aussi l'appel aux dons immédiatement lancé par le Maire, Monsieur Dupont son cousin, qui était heureusement alité le jour en question.

Paix à votre âme, chère Adélie. Mais franchement, la prochaine fois, débrouillez-vous pour sauter avant.


Comme un moine bouddhiste hilare

Ce mug, je l'ai trouvé il y a longtemps quand j'habitais Paris. Il est vert et décoré de sortes de moines bouddhistes hilares qui dansent en tous sens. A l'époque, il avait un couvercle mais je l'ai pété. C'est comme les couvercles des théières, avec moi ils y passent tous rapidos. Mais le mug, comme du reste les théières, lui non : il est toujours là et chaque matin, plus ou moins bien réveillée, je fais face à un moine bouddhiste hilare qui court après son copain tout aussi hilare. Face à eux, avec ma tartine beurre-miel, je m'interroge : est-ce ainsi la danse de la vie, dois-je les envier ? Sont-ils vraiment si sages à rire ainsi ? Et être sage, est-ce que ça fait vraiment envie ? Souvent je déglutis d'interrogation et de bref dépit. Le thé bien noir me donne un sursaut, je sais qu'il est l'heure, encore temps, alors je remballe tout vite sur un plateau et direction la cuisine où je range tout, frigo, placard, évier pour le mug qui attendra bien sagement demain... si j'y reviens.




2022



Petite vengeance sans grande conséquence

N'avez-vous jamais pensé à scier la branche de qui scie l'arbre ?
Moi si, c'était même une petite, enfin disons une grande obsession.
Et un jour, tac, bim, je l'ai fait.
Le gars était au milieu des branchages qu'un à un il défaisait avant de s'attaquer comme d'usage aux branches, d'abord les petites puis les grosses, et enfin le tronc.
J'ai guetté et j'ai dézingué en premier son collègue, le chauffeur du camion chargé en principe de tout laisser propre, autant dire l'arbre en pièces détachées et tant pis pour lui s'il finit en belle souche, vous savez, ces fauteuils qu'on taille après, histoire de se prendre pour un roi en majesté.
Assommé d'un coup de bûche ramassée dans le jardin d'à côté, le gars, bim, tac. C'est pas bien, ça ? Moi j'étais en tout cas hyper trop fière de moi.
Après, je me suis approchée et j'ai simplement tiré sur les cordes réputées sécuriser l'autre en-haut, perché sur la cime avec sa tronçonneuse.
Il a rien compris, réalisant sans doute dans sa chute que c'était quoi ce truc, il était un pantin, putain merde c'était quoi cette... pof, crac... vie ?
Je l'ai accueilli au sol, pouf, slac, esquivant soigneusement son engin tranchant encore rugissant.
Quand il m'a vue, encore mais plus pour longtemps palpitant, il a compris.
Des justiciers de mon espèce, il en avait déjà rencontrés, combien d'insultes mais toujours remballées et vrombir avec le camion, maudissant tous ces cons.
Ben là, non. Voilà que moi ce jour-là j'avais osé.
A chacun sa première et j'ai tourné les talons, trop fière de laisser à l'air libre la scène d'un crime si parfait.


Texture de la vérité

Je me demande si,
qu'est-ce que ça fait,
si un jour on la touche,
est-ce qu'on la reconnaît.
Avant, on se sera beaucoup, mais beaucoup interrogé. A s'en ruiner, à s'en dissoudre presque et qui sait si ce n'était pas le projet, oui le projet de ceux qui -après le forfait- auraient tout fait pour la dissimuler. On se sera souvent demandé si on n'a pas rêvé, si vraiment on n'a pas tout inventé, si le puzzle reconstitué n'est pas bricolé de toutes pièces qui, elles non plus, n'ont jamais existé. L'air n'aura rien révélé dans ce cas, ni son fond ni le moindre vent léger. Il aura fallu tenir, tenter de progresser avec ce doute qui n'est pas rien mais qui ne résume pas tout. On aura grandi boiteux, forcément à nos heures un peu haineux, peureux, envieux. Et on demeure comme ça, peut-être cela durera jusqu'au bout, à tenir entre ses dents un brin d'herbe, à serrer entre ses doigts l'ombre de ce qui fut un doudou et à se demander
si un jour on l'atteint,
elle existe, oui elle existe puisque ça y est on la touche,
si on la reconnaîtra la vérité,
c'est quoi exactement la texture de la vérité.


Des murs et des déserts

Au-delà du dernier mur
le désert s'épanouit,
ne cesse d'appeler le vieil homme
qui toujours s'en remet à lui.

Il se souvient de cette première fois
où le mur, aujourd'hui dernier,
avait été le premier,
le premier d'une longue série
formant labyrinthe mutique.

Il était alors jeune,
non, ça jamais fringant,
de ces jeunes qui vivent
comme en s'endormant,
un pas puis l'autre vers
l'ensemble des murs repliés.

Du désert, il n'avait jamais connu l'appel
puisqu'il en avait été happé
une bonne fois pour toutes,
l'oasis ne figurant dans son cheminement
que de brèves haltes sans réel intérêt.

Sauf ce jour-ci qui en fait est un soir
où, au-delà du dernier mur
dont il s'approche un peu boiteux
et même très vieux,
l'attend un infini de dunes
jusqu'à son ombre absorber.

Il avance, il chemine,
continue c'est ça de cheminer
et avance sans trembler.
Après tout, passer le dernier mur ne sera
qu'une formalité, le décor tombera
et lui s'y dissoudra comme il est,
comme il a toujours été :
en toute humilité.


Manifeste du grand soir

Je voudrais que l'on me voie même si je sais être obscure pour certains.
Je voudrais que l'on me respecte dans mes variations et mes amplitudes en toutes saisons.
Je demande un peu de répit à moi qui suis chargée de pourvoir au vôtre.
A force, j'en viendrais à vouloir une moi universelle, oui la même moi pour tout le monde en même temps.
J'imposerais alors ma loi, celle des bruissements féconds et des demi-teintes alanguies.
Le monde serait dès lors un crépuscule permanent ne se questionnant plus sur sa nature profonde, qui du matin, qui du soir, qui anxieux, qui présomptueux.
L'hésitation serait la norme, l'oscillation régnerait comme un joli petit bruit.
Les cités et les fleuves se confondraient avec d'interminables jours, les campagnes et les ruisseaux avec des mois raccourcis.
Les mouvements n'auraient plus de sens, alors enfin on s'économiserait, on aurait enfin compris, compris que l'aurore n'est rien à qui n'a pas compris, oui c'est ça : rien ne sert d'advenir à rien si rien n'est jamais compris.
Alors, après, dans une sorte d'éternité, une sorte tout aussi sorte de repos enveloppera tout, tout tout tout de la cave au grenier en passant par les humains et non-humains.
Le temps ni rien n'aura plus de raison d'être puisque moi je serai,
Nuit.


Les traces rouges (Un jour viendra)

Ça gratte. Elle a les fesses rouges comme un babouin mais elle ne sent, ne voit rien. Ça gratte mais rien alors comment veux-tu qu'elle dise quelque chose ? On lui propose de se mettre du baume. Elle répond d'un regard vide que les autres feraient mieux de balayer devant leur porte et de se le mettre au cœur, le baume. On lui dit aussi qu'elle ne peut pas continuer ainsi, que les bains de siège c'est pas mal, la lavande apaise il paraît aussi. Mais cela la rend furibonde et c'est d'huiles non essentielles qu'elle se repaît à s'en saouler. Alors on voudrait la prendre manu militari, lui dire que si ça gratte comme ça, à ce point sanguinolent, est-ce ainsi, est-ce comme ça qu'elle pense continuer ? Continuer. Continuer ? Et pourquoi pas durer ?! Ça gratte, oui ça gratte mais gratter, que ça gratte, elle n'a jamais connu que ça, comme une gratterie derrière l'oreille puis dans la tête puis tout le corps contaminer. Alors vous voulez quoi, oui quoi attendre, quoi de possible en pareil cas ? Elle s'arme de couches et de couches, petit à petit s'enroule dans toutes ces bribes de tissus correspondant en fait à des mots trop crus. Elle seule sait mais elle ne peut pas ne pas faire que ça ne gratte pas car alors, si ça ne grattait plus, elle se sentirait oh non, oh si, toute... toute nue, nue précisément comme ce jour-là. Alors ça gratte, laissez-la en paix si ça la gratte... là, aimez jusqu'à ses traces rouges, au moins faites ça. Et croyez en elle. Car un jour viendra c'est sûr où ça ne grattera plus.


Les traces rouges (Le jour venu)

On peut le croire ou pas -elle, avant, elle ne le croyait pas, elle n'y pensait même pas- mais le fait que ça ne gratte plus, ça te boute dehors comme un grand coup de pied au cul. Au départ, tu trouves ça drôle, oui ça te fait tout drôle, tu cherches, elle te manque la gratterie, tu y tiens à toutes tes sanguinoleries. Puis tout d'un coup, on sait pas très bien à quoi ça tient, une fissure dans le mur qui s'avère être un décor, ou ton œil qui enfin lève une paupière et là, là tu sors. Désormais tu n'es plus celle dans la chambre, celle qui regarde le paysage dehors depuis la chambre avec la fenêtre même ouverte. D'ailleurs cette fenêtre est étrange, on pourrait en dire long, peut-être ça serait le sujet, en savoir plus long sur cette fenêtre. Oui, désormais tu es dehors, on pourrait dire enfin dans le décor mais au moins le vrai. On le sait, tout le monde sait que tout n'est qu'illusion mais au moins tu respires et l'air là en-bas, tout autour si artificiel soit-il, n'a plus rien de rance. Tu cueilles un brin d'herbe, le glisses entre tes dents, tu regardes là-haut la fenêtre-pas fenêtre entrouverte, toi tu sais quoi dedans là-haut mais ce n'est pas grave. Tu t'ébranles, enfin quelque chose avance en toi et tu débutes le tour de ce qui doit être ton ancienne maison.


L'odeur de la gaufre

L'odeur de la gaufre est toujours là,
qu'elle soit belge, piémontaise ou tsigane,
elle est toujours là.
On la perçoit de loin.
Où qu'on soit, elle monte jusqu'à nous
et peu importe si on remonte jusqu'à elle,
la gourmandise a bien peu à voir avec ces choses-là.
Car l'odeur de la gaufre est toujours là,
elle caramélise l'atmosphère,
enrobe crispations et soucis.
On peut faire partie de la foule
qui toujours devant le kiosque attend
pour croquer dedans.
Ou juste passer aux abords
et juste s'emplir de sa présence
et alors se sentir tout de suite, longtemps, plus forts.
Toutes les configurations sont possibles
pourvu qu'elle soit là et le lac aussi,
que les vents à force d'être trop contraires tout à fait nous contrarient
et alors ce serait un monde comme impossible sans elle,
l'odeur de la gaufre, non, inimaginable, engloutie.
On errerait alors un peu tous sur la grand place
à la recherche vaine de son souvenir évanoui.



2021

Ce que je sais

Je sais que le monde est vaste alors rien ne sert de courir : je n'arriverai pas à en faire le tour.
Je sais qu'un territoire, c'est comme 2 et 2 font 4 : ça devrait être rationnel, un peu calme, mais ça finit souvent en guerre.
Je sais qu'au-dessus il y a l'espace, sa conquête, et moi je me demande pourquoi vu que dans l'océan, déjà, on sait pas quoi.
Je sais que dans la forêt il y a un panier, un fil invisible relié au panier et que la peur ne sert plus à rien : le panier est désormais en liberté.
Je sais qu'il en faut du temps pour explorer. Du coup, autant rester couchée.
Je sais que si le lac ondule, c'est parce qu'en-dessous il y a un grand sèche-cheveux, comme pour faire bouger les draps des décors au cinéma.
Je sais que si le soleil se couche, c'est parce que le monde est vaste. Alors il préfère le rêver.
Je sais qu'au-delà de la fenêtre il est un monde emporté par le vent.
Je sais que ça y est, le soleil est couché, les montagnes sont roses. Enfin pour être précise, elles envient le rose autour des nuages gris.
Je sais qu'envahir c'est pas bien, mais après tout si on peut pas faire autrement, ben c'est mieux que rien.


Crépuscule au Jungle Bar

Ce soir il ne fera rien, il ne bougera pas. C’est fini, il le sait. Ça lui tombe dessus comme ça, direct, avant il n’y avait jamais pensé.  

La fille du bar le regarde. Avant… avant, l’emballer n’aurait été qu’un détail. Des comme elle, il y en a eu un paquet. Mais là, ce soir, il ne bouge pas. Dire qu’il a encore mal, que c’est cette foutue blessure au dos qui le cloue là n’est pas tout à fait vrai. Bien sûr que ça joue. Sale blessure, le dos. Surtout quand c’est la première fois que vraiment tu souffres, tu ne peux pas y échapper alors que toute ta vie tu n’as fait qu’échapper, sûr que quand ça t’arrive, la blessure elle t’atteint, elle a ta peau.  
La fille du bar le regarde et lui regarde Sandra. Elle, il va falloir apprendre à éprouver de la tendresse vis-à-vis d’elle, enfin éprouver un petit quelque chose, sinon la vieillesse risque d’être pire que la mort : longue, très longue. Le pire, c’est que c’est elle, ce matin, dans leur lit king size, qui lui a dit qu’il sentait le vieux, texto. Déjà il l’avait en berne à cause de cette foutue blessure, mais alors là tu imagines le coup, bim bam. Il a demandé ce que ça voulait dire cette histoire de sentir le vieux. Défiante, en se levant d’un pas alerte, elle lui avait répondu que c’était juste que maintenant il sentait l’aigre, la mort. Ah bon. Même pas un truc du genre sentir le poudré, voire le poussiéreux. Non, carrément l’aigre de la mort. Et le pire, c’est que la connaissant, il savait qu’elle n’y allait pas fort, que c’était sans doute vrai : maintenant, il sentait le vieux, c’est-à-dire l’aigre de la mort.  

La fille du bar insiste et lui s’efforce de ne regarder que Sandra parce que c’est elle qui l’accompagnera jusqu’au bout. Car c’est décidé : finies les conneries, maintenant y’a plus de place pour aucune légèreté. Sandra le soignera et l’enterrera, d’ailleurs il la paie assez pour ça.  

Il grimace, la douleur encore elle, et se retourne. La fille du bar n’est plus là. Soudain, il arrive ce qui ne lui était jamais arrivé : il se sent ! Il sent son odeur âcre de jeune vieux, de déjà un peu mort. Pourtant, des occasions de se sentir, il en aurait eues un peu comme tout le monde, mais jamais, pas le temps, même pas l’idée. Et voilà que la première fois où il se sent, c’est pour sentir le vieux, l’aigre de sa propre mort.  

Sandra le regarde. Plutôt crever tout de suite que percevoir dans ses yeux la moindre pitié. S’il la paie, c’est pour avancer, pas tout confondre, avancer encore un peu, quitte à ce que le regard de Sandra soit le dernier, quitte à ce que cette sale odeur ne le quitte plus jamais.




Corps alors !

Une oreille, c'est pour traquer le silence.

Un ventre, c'est pour rêver aux méduses l'été.

Un poignet, c'est pour avoir de la poigne, sauf quand il faut lâcher.

Une bouche, c'est pour faire atterrir les sourires dessus.

Un ongle, c'est pour gratter même là où y'a rien à gratter, on sait jamais.

Un pouce debout, c'est pour demander de l'aide sur la route et en même temps ça dit que tout va bien, trop bizarre.

Un petit doigt, c'est pour faire genre, genre assuré quand on le lève en société.

Un index, c'est pour vite désigner de peur d'être soi-même désigné.

Un annulaire, c'est pour voir les alliances s'envoler quand on ne s'aime plus.

Un genou, c'est pour plier mais jamais abdiquer.

Un nez, c'est pour l'avoir creux plutôt que bouché.



Putain de trouée

Le ciel était nuageux, c'était pas terrible, pas un jour à atterrir vraiment. Alors on guettait, on guettait ce qui s'appelle une trouée. Avec Peter, on s'était dit, je crois même juré, ouais à la première trouée, ouais c'est ça, la première s'ra la bonne et alors on descend. On a tenu l'truc : à la première trouée, on est descendus. C'est là que... vent de travers ! Le truc jamais vu, violent, vraiment violent. On était sous les nuages et d'un coup, balayés, le truc on s'est retrouvés à quoi... 10 kilomètres de la cible qu'en plus avait pas tout à fait été une cible. En un sens, ça tombait bien. On n'était pas trop fixés. Le fuselage a tremblé, Peter a visé un chenal qui se dessinait entre deux eaux, enfin j'te dis pas l'truc de l'approximation. Moi, moi... Enfin bref, c'est comme ça qu'on a atterri ici. C'est de sa faute. Il voulait à tout prix partir. Décollage, montée, stabilisation. Puis ça lui a pris, le coup de dire au pif, on descend à la première trouée. Tu parles d'une trouée ! Maintenant, c'est simple, je les regarde d'en-bas ces foutus nuages et à la première, de trouée, je vais chercher mon fusil. Un bail que j'ai plus de cartouches mais quand même, tant pis, c'est pas grave, c'est la grâce du geste qui compte, et alors je lui tire dedans à la salope. Peter, lui, ce con, il attend. Il est de longue au bout de la digue pour voir si des fois que, enfin si au bout y'a quelqu'un, un truc comme une trouée que moi je vais lui trouer la peau à cette garce quand je la vois, un truc au fond du fond de l'horizon, là où finissent toutes les trouées, au final, de toutes façons.



Virtuelle

Juste à l'endroit où tu poses ta cuisse, il y a comme l'amertume d'un muret. En principe, d'ici la vue est belle. Oui, d'ici ce serait comme un éternel clair matin. Sauf que non, aujourd'hui comme depuis beaucoup d'hiers tout est éteint.

Juste à l'endroit où tu poses ton crâne, il y a ses sombres idées qu'aussi tu aimerais poser mais elles résistent alors ton crâne trouve bien quelqu'un pour s'assoupir loin en-dedans et tu laisses en surface le sombre aux idées ; ça s'appelle dormir ou rêver.

Juste à l'endroit où tu poses ton poignet, il y a ton menton. Oui c'est ça : tu aimerais prendre la pose, faire la belle, prendre enfin un air vraiment détaché, t'appuyer. Faire comme si, tu sais, parfois suffit.

Juste à l'endroit où tu poses ton cœur, il y a une sorte de balance qui s'affole ; elle au moins palpite. C'est que le cœur est trop gros, elle n'a jamais vu ça. Alors le cœur la regarde ; il voudrait la rassurer mais il ne le peut pas.

Juste à l'endroit où tu déposes tes veines, il y a comme un réseau sensuel de possibilités virtuelles. En pensant à toi, tu te reconstitues et pour l'instant c'est déjà ça, oui c'est déjà ça.



A moi la petite déchetterie

Après tout, peut-être que la déchetterie c'est le territoire, mon territoire. J'ai essayé d'autres trucs et quoi ? Y'a pas de honte. De toutes façons, j'aurai jamais le profil d'une chiffonnière en chef alors y'a pas de risque que j'me perde dans un nouveau royaume. Non, la déchetterie, je veux dire une petite déchetterie, y doit bien y avoir ça quelque part. C'est l'idée d'avoir un chez moi tout chaud et bien trié. Tout chaud, vu que les déchets arrivent fumants, et bien triés, vu que maintenant y'a intérêt à les apporter triés, les déchets. C'est sûr, y'a un genre de laxisme, ou du moins les gens sont parfois de bonne foi et savent pas où la mettre la prise et tout, et le transistor et le sèche-linge cassés. Mais pas grave, je prendrai tout, même pas mal, tout pourvu qu'on me la foute, la paix. Je veux mon lieu chaud et tant pis si pas top bien trié. Je me chargerai de tout et ça, ça s'ra pas une charge à côté de là d'où j'viens, un truc comme une trouée sans nuage, un trou noir tu veux dire oui, un désert d'ennui où ne résonne rien, pas même un coup de fusil. Ouais, c'est ça, cette fois je les pose mes valoches. A moi, à moi la petite déchetterie.



Poids plume

Pour se remplumer, c'est bien simple, je me souviens, ah ça je m'en souviens, elle en a fait un brave de carnage. C'est la faute au médecin. Pas pour sa santé. Ça non, sa santé, la sienne et celle des autres, elle s'en foutait. Mais les yeux du médecin, ça non, ah ça non on peut dire que lui elle l'a écouté. Là où tout le monde avait échoué, lui avait en un sens réussi, enfin carnage mis à part. Il avait trouvé comme un chemin, une sorte de canal, un truc sinueux mais efficace entre l'oreille et le cerveau. Enfin toujours est-il qu'à peine il lui avait lâché « Vous, il faut vous remplumer » que ça y était, elle était partie, elle était droit devant, vers quoi on ne sait pas, un truc comme lui plaire, pas le décevoir, lui.

C'est là que ça a commencé, comme une folie de coussins au début. Au nom de sa remplumerie, c'est bien simple, elle a pris tous ceux de la maison et elle les a trucidés, éventrés puis consciencieusement vidés de leur duvet et aussi consciencieusement elle les a avalés. Bien sûr elle a failli s'étouffer mais toujours les yeux du brave médecin semblaient l'encourager. Et bien sûr ça n'a pas suffi car un poids plume qui bouffe des plumes, ça fait jamais qu'un poids plume toujours pas remplumé. C'est là que de rage elle s'est attaquée aux édredons, à tous les édredons de la maison. A force, on n'y voyait plus rien. Pour sûr, on se croyait dans un vrai poulailler et, d'ailleurs, c'est là qu'elle a fini et où on l'a ramassée, un matin, là, comme ça, près du nid de la porte des œufs. Ce coup-ci, elle était partie pour trouver le coq, des fois que si, que elle aussi, enfin si elle pondait, enfin si y'avait vraiment pas moyen qu'il féconde le truc et alors ça aurait fait des poussins et même qu'elle les aurait direct avalés et même que comme ça elle se serait enfin remplumée. Un truc comme une réinitialisation initiale. Le truc, quoi, on peut toujours rêver.

C'est le médecin qui l'a ramassée. Il lui a doucement tapé dans le dos. Elle a recraché un, deux, trois poussins d'une poule effarée. Elle a ouvert les yeux et alors ses yeux ont croisé ceux du médecin, il faut le dire lui aussi un peu effaré. Il lui a dit que se remplumer, c'était une expression, disons une façon de parler et que fallait pas en arriver à des extrémités pareilles, enfin que si, que ça, que tout le reste... Elle, après tout ça, elle avait l'air quand même un peu hébété. Elle a toussé. Moi, la seule chose dont je me souvienne, c'est de cette petite plume en suspension dans un rai de lumière à l'entrée du poulailler.



Une femme qui marche

Un corps entre en mouvement. Ou reste immobile. Il y a de ces instants de folie qui nous débordent, nous façonnent à l'envers et alors c'est pas facile, comment... pas facile d'avancer. Il y a comme une mutation, souterraine, fissure désordonnée qui se croit belle et pourquoi pas, va petite fissure, et si tu avais raison ?
On reste immobile.
C'est qu'un corps est entré en mouvement. Même sous l'emprise de la folie et même si tu débordes à l'envers, c'est pas grave. Ce corps avance et moi je le suis. On dira que je suis, moi, derrière.



2018


Le regard du chasseur triste

C’est assez admirable, pourquoi pas jouissif, d’assister à un tel naufrage,


Contre vent et crue

De cette journée, je ne veux retenir que ce petit vieux pas vu depuis longtemps, sur le banc près de la rivière en furie.


Plus beau que tous ses rêves

Je me souviens, quand j’étais petit, elle disait que j’étais plus beau que tous ses rêves.


Révolte paysagère

Empathie = capacité de reconnaître en l’autre des émotions

Humanité = espèce sociale

Trahison

Inconsistance



Pour le geste

De cette journée, je ne veux retenir que cette femme cramponnée à son parapluie rose alors qu’il ne pleuvait plus.


Les liens, le temps

Impossibles

Impensables

Les liens

Impavides





2017


A l’ombre des paupières du lézard vert

Au vrai, quand l’ascension commence, cela fait longtemps qu’elle a commencé. C’est que j’ai longtemps attendu. C’est que j’attends. Au fond, je ne fais qu’attendre, attendre d’être en bas de cette montée. Elle n’est pas longue.


A quoi ça ressemble, un con ?

Au vrai, quand l’ascension commence, cela fait longtemps qu’elle a commencé. C’est que j’ai longtemps attendu. C’est que j’attends. Au fond, je ne fais qu’attendre, attendre d’être en bas de cette montée. Elle n’est pas longue.


Milena les yeux bleus

A Milena, j’ai offert l’un de mes poèmes

Comme un homme lui aurait offert des fleurs


Je tiens

Je tiens
Bon
La distance


Pas grande

L’infime

Se glisse

Dans l’espoir

Comme une porte entr’ouverte


Princesse Soupir

Le mariage, pas trop pour elle.

Une fois, ça lui a suffi.

Elle préfère de loin enchainer les selfies.


STAR

Quand je serai grande, j’aurai comme le chanteur Christophe,

comme la Cardinale ou la Deneuve,

des lunettes aux verres fumés.


Toucher terre, voir le jour

Et de 5.

5 neveux et nièces.

Sa petite sœur vient de pondre le 5ème.


          



Canadian vertigo


Etienne avait tout bien préparé : passeport, billet d’avion, plan de Montréal, adresse de sa logeuse et argent. Bien sûr quelques effets personnels mais l’essentiel n’était pas là. Il soupesa avec appréhension son sac à dos : lourd, trop lourd. Jamais il ne passerait en cabine, surtout avec les nouvelles normes de sécurité. Et pourtant il fallait. Pas de temps à perdre. Il fallait vite attaquer, trancher dans le vif, en finir.






L'ultime


"Moi, au départ, j'étais nickel. Je voulais même être grand reporter comme Dan Loustalo sur Antenne 2. Quand je la voyais à la télé, mon rêve, c'était de voler. J'avais pas peur de grand chose. Enfin c'est ce que je croyais.





Linda 314


  Je suis la Dinde, vous savez, celle de Noël : « 5,95 euros le kilo chez Leclerc, 5,93 chez Carrefour, 5,90 tout rond  chez les Trois Mousquetaires ». Vers la fin d’année, ils se tirent toujours la bourre pour… me bourrer, justement. Refiler des milliers de mon espèce à des millions de leur espèce. Et que j’te farcis aux abats, à la chair à saucisse avec-soupçon de raffinement- une rasade de Cognac.





Pétition pour la libération des CSO


Nous soussignons Bernard-L’hermitte, Génito-Urinaire et Martin-Chasseur-Pêcheur,

Les Riri-Fifi-Loulou du Gros Robert, Autoproclamés  Groupe des Collés-Serrés-Orthographiques (GCSO)  Adressons cette pétition aux Mages de l’Académie Française pour qu’ils prennent connaissance de notre infernale condition et statuent urgemment en notre faveur.






Tout feu, tout Piade


Comme chaque soir dans leur terrier, les beletteaux sont blottis contre leur génitrice et réclament en chœur:

- Mère Belette, raconte-nous une histoire!

- D’accord, mais courte alors. Il était une fois un Bernard l’hermite capturé par un jeune explorateur, Valentin. Il était tout excité à l’idée d’observer ce curieux petit animal qui passe de coquille vide en coquille vide. De retour chez lui, penché au-dessus du presse-agrumes qui servait d’aquarium de fortune, Valentin songeait: “Je me demande à quoi ressemble un Bernard l’hermite nu… Tiens, je vais t’appeler Piade, Piade le Grand, seigneur de l’Ile d’Or. Bonne nuit, à demain”.



Pas touche au patou


Est-ce normal si la boussole a fini dans le grille-pain ?

C’était ce matin, comme un appel au calme, malgré les circonstances tragiques.

Je reprends. Hier, constat effarant : pour retrouver le Nord, une boussole doit être bien à plat. Or, dans cette baraque gondolée de tant d’illusions, où trouver un endroit pas de guingois ?



L’exil       mai 2013


Affaire fut conclue sur le port qu'il partirait au plus vite. Peu importe l'embarcation, peu importe la destination. Il fallait qu'il parte, alors il partirait. Ils devaient se débarrasser de lui, l'affaire était maintenant conclue, alors ils pavoisaient. Ils finissaient de discuter mais peu importait car l'affaire était conclue, conclue, conclue.


Du lendemain, tôt, Denys ne garde qu'un souvenir incertain. Etaient-ils encore là, quoique l'affaire conclue, pour être certains qu'il partirait ? Il ne sait. Il se souvient juste d'un palais, d'une citadelle au loin, d'un chien aboyant après un cheval. Un canot l'avait emporté jusqu'à la soute du trois mats. Garanti : il y étouffa.


De petits rires, des rires petits, leurs rires, si si... ces rires qui reviennent. Ils étaient donc bien là à le regarder s'éloigner, lui qui était bien dans cette incapacité-là.


Nulle distance, nul horizon, un écrasement. Il n'était qu'écrasement sur lui-même, contre lui-même, à se demander comment tenir désormais, blotti contre ce lui-même inconnu. Il avait bien senti, auparavant, à quelques fugaces reprises, cette drôle de sensation, cette étrangeté. Mais il avait tenu, puisque c'est de cela dont il s'agit, pour la cause, l'apparat, la fonction. Fils de -il ne sait plus très bien de qui-, il n'était pas question d'autre chose que de tenir le rôle attendu de fils de, et rien de plus. Las, un jour il avait malencontreusement fait plus. Naturel, croyant bien plaire aussi, il avait dit que lui, le fils de, après la mort de, quand il règnerait lui, il modifierait ceci. Juste ceci. Ce fut trop. « De » en pris ombrage du haut de sa petite grandeur dégarnie et la décision fut prise ; enfin... l'affaire fut conclue.


L'histoire de la traversée n'a, au fond, en soi, au fond de la cale, pas vraiment d'intérêt. Denys se souvient bien d'avoir été extirpé du vaisseau à lourds coups de pied, d'avoir été ébloui, sauvagement, par la lumière inespérée du jour, enfin le jour, encore donc le jour ?!


Denys ne peut pas dire que tout cela est sans importance. Il fut abandonné sur cette ile, là est la seule certitude.L'abandon est seul souverain, lui seul tient, Denys est son tuteur avec cette question étrange qui suspend l'air ultra-marin : vide, comment peut-on se faire plein pour que tienne le vide ? 



La vie chose  (extraits)  Novembre 2013



Je veux...

Tu veux...

Une vie...

Tu dis  ?

Oui, marre de tes savates molles, de...

De  ?

De ton regard éteint de... de...

De  ?

De vieux... c'est ça...

C'est quoi  ?

C'est ça  : de vieux ramoneur  !

Ah. Et puis  ?

Rien. Et puis rien. C'est...

C'est  ?

C'est tout.

Mais alors...

Alors  ?

Alors quelle vie  ?

Quelle... vie  ?

Oui, alors quelle autre vie?

Une vie pleine, je veux une vie pleine.

Jamais contente.

C'est ça.

Pourtant...

Pourtant quoi  ?

Pourtant tu sais bien: c'est jamais qu'une histoire, la même histoire du verre à moitié vide, à...

Moitié plein.

C'est ça, bien.

C'est ça, pour toi évidemment, c'est bien.

Alors  ?

Alors, rien.

Allez...

Allez quoi  ?

Allez viens.


Ceux qui cherchent et ceux qui ont trouvé


décembre 2013


Ceux qui cherchent...



Y'a plus rien entre nous et

pourtant on est

encore

ensemble.

Bizarre



On n'est plus

ensemble

Et pourtant y'a encore

quel va savoir quoi

quelque chose entre

C'est ça : quelque chose

entre nous.

Etrange.



Et si un truc,

une sorte de mystère entre nous ?

Et alors... nous encore

ensemble.

Ben ça, c'est connu

C'est l'amour

c'est classé, révolu.

Ah bon, dommage.



Bon d'accord.

Et si plus rien entre nous et en plus

nous plus ensemble, ça devrait décanter

parce que tu me gonfles avec toutes ces histoires

« entre » « ensemble »

qu'est-ce que j'en sais ?

Y'a qu'à mettre une bonne fois

pour toutes

le paquet.



Alors ?

Ben toujours rien.

Ça décante mais ça donne rien.

Putain ce truc,

c'est compliqué.



Silence.

Eloignement.

Y revenir.



Entre toi et moi,

Entre nous,

Si on,

Toi et moi,

On était re,

à nouveau,

ensemble,

Tu...

Ce...

Tu... ce...

Ce serait bien,

tu crois pas,

après tout.




… et ceux qui ont trouvé



Entre nous, je vais te dire : ils n'ont rien à faire ensemble.

Non ?

Ben t'as rien vu ?

Quoi ? Non.

Evidemment.

Evidemment quoi ?

Je réponds même plus.

Pourquoi ?

Parce que t'es trop con !




Psychologie du démineur




Déminer... déminer... c'est vite dit. Qui le fait  ? Faut savoir quoi chercher et d'abord étudier la question parce que ça pète pas toujours de la même façon. Ça pète, ça oui ça pète toujours si on n'y fait pas gaffe, si on sait pas comment s'y prendre. Mais ça pète pas pareil selon la composition chimique. C'est plus ou moins sensible mais toujours meurtrier. C'est le genre de truc on voit rien, c'est bien camouflé mais ça peut -d'ailleurs n'est-ce pas fait pour?- tuer.


Alors faut s'armer à son tour, définir du périmètre le contour et puis doucement y aller. Des auxiliaires, équipements, appareils, compagnons, peuvent aider mais le démineur œuvre seul sur son périmètre. C'est la règle. Personne ne peut y déroger à moins de déserter. La nuit d'avant est difficile, comme toutes les nuits d'avant. On tourne, on vire comme il ne sera pas permis lors de la mission. On se lève dans les vapes à venir mais il faut y aller, tête froide, profil bas. Sur le champ de mines, pas de quartier  : c'est elles, vous, toi ou moi.


Parfois, ça pète, c'est raté. Tout pète, alors tout s'arrête. La mine a gagné. Parfois on est juste amputé et rien ne repousse ou alors si, ça repousse. Quelque part quelque chose repousse mais à la base cette garce de mine a tout saccagé. Et puis il y a ces fois où on lui fait la peau, où même pas elle saute ou alors si  : on la fait péter hors sujet. C'est alors qu'on la regarde se consumer avec la terreur des survivants et la froideur des revenants. Le spectacle est grandiose, la mission avec succès accomplie. Jusqu'à la prochaine mine, jusqu'au prochain champ, jusqu'à la prochaine opération qui dira si oui ou non on va déminer encore longtemps.





Varécy,

Juillet 2014